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Formation des élites et culture transnationale. Colloque de Moscou 27-29 avril 1996 (eds. D. Broady, N. Chmatko, M. de Saint Martin). Paris/Uppsala: CSEC, École des Hautes Études en Sciences Sociales/SEC, ILU, Université d’Uppsala, 1997, 386 pages, ISBN 91-87252-24-4.
Collection Skeptron
Diffusion:
Sociology of Education and Culture (SEC)
Uppsala University, Box 2136, SE-75002 Uppsala, Suède
Web http://www.skeptron.uu.se/broady/sec/
Sommaire
English abstract
Table des matières
Introduction
- et un compte rendu du colloque
Éd. Donald Broady, Natalia Chmatko et Monique de Saint
Martin
Formation
des élites et culture transnationale. Colloque de Moscou, 27—29 avril 1996
Paris et Uppsala 1997, 363 p., recueil du colloque, ISBN
91-87252-24-4
Le colloque « Formation des élites
et culture transnationale » tenu à Moscou en avril 1996 a confronté des études
menées en Russie sur la constitution des nouvelles élites et la reconversion
des anciens groupes dirigeants avec des études sur la formation des élites
transnationales ainsi que des études sur les élites nationales de pays comme
l'Algérie, l'Allemagne, le Brésil, la France, la Grèce, la Hongrie, le Maroc,
la Roumanie, le Sénégal et la Suède.
La première partie du recueil
rassemble les communications sur les restructurations de la société russe, les
transformations du système d'enseignement en Russie, la constitution de
nouvelles élites russes et la reconversion d'une part importante des anciennes
élites.
La deuxième partie présente des
études sur les transformations des modes de formation des élites en Europe et
en Afrique, en particulier celles qui concernent les écoles qui préparent le
plus directement aux investissements transnationaux.
Dans
la troisième partie ont été réunies les contributions qui traitent des
processus d'échanges et de circulation de différents produits culturels et
scientifiques : savoirs, doctrines, connaissances, traductions.
Publié avec le concours du Conseil Suédois de Recherche
pour les Sciences Sociales.
Donald Broady, Natalia Chmatko and Monique de
Saint Martin (Eds.)
Formation
des élites et culture transnationale. Colloque de Moscou, 27—29 avril 1996
(Elite formation and transnational culture. Moscow
Conference 27—29 April 1996)
Paris and Uppsala 1997, 363 p., conference proceedings, ISBN 91-87252-24-4
The
conference on elite formation and transnational culture was held in Moscow in
April 1996. Studies on transformed old and emerging new Russian elites were
confronted with studies on the national elites of countries like Algeria,
Brazil, France, Germany, Greece, Hungary, Morocco, Romania, Senegal and Sweden,
as well as with studies on transnational elites. The proceedings are divided
into three parts.
The
first part presents papers on the changing structure of Russian society, the
transformation of its educational system, constitution of new elites and
reconversion strategies undertaken by major fractions of the former elites.
The second part is devoted to modes of formation of
European and African elites, with an emphasis on educational institutions
oriented towards transnational investments.
The
papers of the third part focus on the exchanges and circulation of cultural and
scientific goods: learning, doctrines, knowledge, translations.
The publication is supported by the Swedish Council for
Research in the Humanities and Social Sciences.
Introduction de
Donald Broady et Monique de Saint Martin
1
Première
Partie
La reproduction et les reconversions des élites en Russie
Natalia Chmatko
et Monique de Saint Martin
Les reconversions des
anciens bureaucrates dans le secteur privé
11
Michel Pinçon
et Monique Pinçon-Charlot
Le capital cosmopolite des
élites. Conversions et reconversions 35
David
Konstantinovsky
La transmission des statuts
et le système d'enseignement en Russie
47
Vadim Radaev
Les facteurs de
renouvellement des couches supérieures dans la société russe post-soviétique 63
Youri Katchanov
L'élite politique existe-t-elle comme groupe social ?
71
Andrei
Zdravomyslov
Les nouvelles
conditions de formation des élites politiques russes
81
Galina
Tcherednitchenko
Les dirigeants du parti « Choix démocratique de la Russie »
95
Elena
Voznessenskaïa
Le champ de l'architecture en Russie :
architectes-fonctionnaires et architectes indépendants
109
Jutta Scherrer
A la recherche de l'intelligentsia russe
121
Seconde
Partie
La formation des élites et la culture transnationale
Christian
Baudelot
Le recrutement des élites scolaires en France
139
Mustapha Haddab
L'ordinateur et le bachelier. Le baccalauréat en Algérie,
instance de sélection sociale et
instrument de régulation des flux 155
Donald Broady,
Ingrid Heyman, Mikael Palme
Le capital culturel contesté ? Etude de quatre lycées de Stockholm
175
Nikos
Panayatopoulos
Le collège d'Athènes. Une école pour « les citoyens grecs
du monde » 213
Anne-Catherine
Wagner
La mobilité des élites et les écoles internationales : des représentations
spécifiques du national 235
Grazia Scarfo
Ghellab
Les écoles de gestion au Maroc et la culture transnationale
253
Maria Drosile
Vasconcellos
Politiques d'enseignement et internationalisation. Le cas des écoles de
gestion des cadres 263
Boubacar Niane
De la facticité d'un pouvoir. L'alternative à l'Etat
central 271
Troisième
Partie
Echanges transculturels et circulation des biens symboliques
Iván Bajomi et
Éva Tòt
La diffusion de la « pensée
managériale » en Hongrie par le
biais de la formation professionnelle continue
285
Mihai Dinu
Gheorghiu
La mobilité universitaire internationale, la formation et
les reconversions des élites des pays ex-socialistes
297
Mariana Ioan
L'internationalisme prolétarien et l’invention des
écoles de parti 319
Johan Heilbron
Traductions et échanges culturels. Notes sur le système mondial de
traduction. 337
Odile Henry
Usages nationaux de doctrines importées et formation d’un espace de spécialistes
de l’organisation du travail 351
Maria Rita
Loureiro
L'internationalisation de la science économique et
la position dominante des économistes au Brésil
375
"Introduction, pp. 1-8 dans Formation des élites et culture transnationale. Colloque de Moscou 27-29 avril 1996 (eds. D. Broady, N. Chmatko, M. de Saint Martin). Paris/Uppsala: CSEC, École des Hautes Études en Sciences Sociales/SEC, ILU, Université d’Uppsala, 1997
Donald Broady et Monique de Saint Martin
Ce recueil rassemble les différentes
contributions présentées au colloque
« Formation des élites et culture transnationale » qui s’est tenu à
Moscou les 27, 28 et 29 avril 1996 et qui a permis de confronter les études et
les recherches réalisées par les membres du réseau « Formation des élites
et internationalisation de la culture » avec différentes recherches menées en
Russie sur la constitution de nouveaux groupes dirigeants et la reconversion des
anciennes élites.
Constitué
en septembre 1993 à Stockholm, ce réseau qui regroupe des chercheurs de différents
pays : Algérie, Allemagne, Belgique, Brésil, Finlande, France, Grande
Bretagne, Grèce, Hongrie, Italie, Maroc, Norvège, Portugal, Roumanie, Sénégal
et Suède, s’est donné pour objectif de promouvoir des échanges et des
recherches menées dans une perspective comparative sur les transformations des
modes de constitution, de sélection, de formation, de reproduction et de
reconversion des élites dans un contexte marqué par le développement de réseaux
transnationaux et des processus d’internationalisation de la culture[1].
Comment dans différentes sociétés inégalement affectées non seulement par
les bouleversements politiques récents, voire par des ruptures brutales, mais
aussi par le mouvement actuel de mondialisation de l’économie et des échanges
dominé par les transnationales, sont sélectionnés et formés les différents
agents qui occupent les positions de pouvoir administratif, politique, économique,
culturel ? De nouvelles élites se constituent-elles ou y a-t-il reproduction et
reconversion des anciennes élites ?
En
retenant comme thème central du colloque de Moscou l’étude de la formation
des élites et de la culture transnationale, l’intention était d’attirer
l’attention sur le fait que les élites nationales, les cultures nationales,
les systèmes d’éducation nationaux, les législations ou les systèmes économiques
nationaux deviennent de plus en plus souvent dépendants de conditions qui dépassent
les frontières des états nationaux. Alors que des réseaux et des organismes
transnationaux d’information, d’échanges de biens économiques et
culturels, de gestion se mettent en place, la formation des groupes dirigeants
est de moins en moins contrôlée par les Etats-nations. On choisissait ainsi de
s’intéresser moins aux relations internationales entre différents appareils
d’états nationaux qu’à l’apparition et au développement de nouveaux
modes de formation et de socialisation des élites à la culture transnationale
ainsi qu’à la circulation des biens, en particulier des produits culturels,
des connaissances et des savoirs scientifiques ou des traductions.
Ce
colloque était organisé par l’Equipe de sociologie de l’éducation et de
la culture de l’Université d’Uppsala (Suède) avec la collaboration du
Centre de sociologie de l’éducation et de la culture de l’Ecole des hautes
études en sciences sociales (Paris) et du Centre de recherches sociologiques
franco-russe de l’Académie des sciences de Russie (Moscou). Sans le soutien
constant de Johan Öberg, conseiller culturel de l’Ambassade de Suède à
Moscou, ce colloque n’aurait pu avoir lieu. Boel Englund à Stockholm et Elena
Pronina à Moscou en ont assuré la préparation et l’organisation. Et c’est
avec l’appui du Svenska Institutet et Humanistisk-samhällsvetenskapliga
forskningsrådet à Stockholm, de la Maison des sciences de l’homme, de
l’Ecole des hautes études en sciences sociales, du Programme Europe du CNRS
à Paris, de l’Ambassade de Suède et de l’Ambassade de France ainsi que de
la Maison des journalistes à Moscou que ce colloque a été réalisé.
Alexandre Popov, directeur du Service de formation des professionnels des
relations publiques à la Maison des journalistes a permis son organisation en
ce lieu. Denis Bajenov et Alexis Soloviev ont assuré la traduction pendant la
durée du colloque. Et, l’édition de ce recueil doit beaucoup au travail
d’Anne-Catherine Wagner qui a relu et revu les différents textes et
traductions et de Jocelyne Pichot qui a assuré la mise en page.
La première partie du recueil rassemble les
communications qui se sont intéressées aux transformations de la société
russe, en particulier de ses différents groupes dirigeants et qui ont constitué
le point de départ du colloque. De nombreuses recherches ont en effet été
entreprises en Russie sur les restructurations de la société russe, les
transformations du système d’enseignement, la constitution de nouvelles élites
ainsi que la reconversion d’une large part des anciennes élites.
Le
système d’enseignement a été profondément bouleversé en Russie. David
Konstantinovsky analyse les effets produits par les transformations politiques récentes
sur le système d’enseignement avec en particulier la diversification et la
différenciation des écoles. À partir d’une enquête menée dans la région
de Novossibirsk, il met en lumière l’intensification des pressions exercées
sur le système d’enseignement par les familles des groupes privilégiés qui
recherchent principalement les études d’économie et de finances ainsi que
l’accroissement de la sélection sociale opérée par le système
d’enseignement.
C’est
aussi, souligne Vadim Radaev, un morcellement des structures du pouvoir qui
s’est produit depuis la Perestroïka avec la disparition du parti dirigeant
unique, le déclin statutaire de l’élite militaire et l’apparition de
nouveaux groupes d’intérêt. Il s’en est suivi une accélération de la
circulation des élites qui n’a cependant pas interdit une relative continuité
dans le recrutement et les voies d’accès aux positions dirigeantes. Le
renouvellement des élites varie fortement selon les secteurs et est plus fort
dans les élites politiques, culturelles ou scientifiques que dans les élites
bureaucratiques ou économiques. Dans ces conditions, l’étude des processus
et des modalités des reconversions est au centre de plusieurs recherches.
Natalia
Chmatko et Monique de Saint Martin étudient le cas des anciens de la
nomenklatura qui se sont reconvertis de façon plus ou moins complète et réussie
dans la direction des grandes entreprises privatisées. Ce phénomène n’est
pas sans évoquer le pantouflage des hauts fonctionnaires qui en France passent
à la direction des banques ou des grandes entreprises industrielles après
quelques années dans la haute administration. Elena Voznessenskaïa analyse la
reconversion des architectes fonctionnaires en architectes indépendants et le
changement de paradigme de la légitimité professionnelle. Les positions
nouvelles des producteurs architectes indépendants et les institutions de légitimation
qui se forment restent étroitement liées à l’ancien système étatique
d’organisation de la profession.
Dans
les situations de crise, les capacités de s’adapter aux transformations
peuvent varier selon les ressources détenues. Les représentants de la haute
société cosmopolite qui cumulent les différentes espèces de ressources et
qui ont fait des investissements diversifiés ont plus de chances de faire face
aux bouleversements politiques que les nouveaux venus. À partir d’une étude
de cas, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon analysent le capital
cosmopolite « qui est consubstantiel au pouvoir et aux positions sociales
dominantes » et sa reconversion lors du retour en Russie d’un anciens émigré.
Trois
communications s’intéressent aux élites politiques qui ont connu des
transformations importantes. Youri Katchanov soulève des questions préalables
à l’analyse de ces élites. L’élite politique doit-elle être analysée
comme un groupe social ou n’est-elle qu’une représentation bien construite
? Andrei Zdravomislov analyse les changements dans l’espace idéologique, dans
les modes de formulation des priorités nationales et idéologiques, les
transformations des institutions politiques et les effets de ces changements sur
les nouvelles élites ; les élites économiques sont conduites à jouer un rôle
croissant dans les processus politiques. Galina Tcherednitchenko présente les résultats
de sa recherche sur les dirigeants du parti Choix démocratique de la Russie,
souvent issus de familles de l’intelligentsia et qui se caractérisent par le
fait qu’ils détiennent d’importants avantages culturels. Elle analyse les mécanismes
de sélection et de recrutement des nouveaux entrants et les relations entre ce
parti assez éloigné des partis de type occidental et ses membres qui exercent
pour la plupart une carrière professionnelle.[2]
C’est
avec une interrogation sur la place et le rôle des « intellectuels » et de
l’« intelligentsia » russe que se conclut cette première partie. Jutta
Scherrer analyse la genèse et le rôle historique de l’intelligentsia, les débats
actuels autour de l’utilisation de ces deux termes, la situation conflictuelle
dans laquelle se trouvent les intellectuels dont une partie s’est
professionnalisée. Il n’y a plus d’unité de l’intelligentsia russe, et
cela peut être tenu pour un signe de « modernisation et du pluralisme naissant
de la société russe ».
Dans la deuxième partie du recueil, ont été
regroupées après deux communications qui traitent de la sélection et du
recrutement des élites, les contributions qui s’intéressent aux
transformations des modes de formation des élites et qui étudient les écoles
qui préparent le plus directement aux investissements transnationaux.
Les
élites sont multiples, les frontières qui les séparent des autres groupes
sont indécises et les définitions qui en sont proposées variables. En France,
le système d’enseignement est fortement contrôlé par l’Etat et est
organisé en fonction de la formation des groupes dirigeants. Christian Baudelot
analyse au-delà des mutations, les permanences du recrutement de trois des
grandes écoles : l’Ecole normale supérieure, l’Ecole nationale
d’administration et Polytechnique. En Algérie, observe Mustapha Haddab, le
baccalauréat tend à être un bien rare et est devenu une institution investie
d’un pouvoir important de sélection et de hiérarchisation sociale. Face à
l’accroissement de la demande des étudiants et de leurs familles et à
l’acharnement manifesté pour obtenir ce diplôme, en particulier dans la série
« sciences de la nature et de la vie », a été mis en application un système
informatisé d’affectation des bacheliers dans les différentes filières de
l’enseignement supérieur.
Comment
les stratégies des écoles d’élite, des familles et des élèves sont-elles
affectées par le processus de transnationalisation ? À partir d’une étude
approfondie de quatre lycées de l’enseignement secondaire destinés surtout
aux enfants des différentes élites à Stockholm, Donald Broady, Ingrid Heyman
et Mikael Palme montrent comment la réforme de 1991 qui favorisait une libéralisation
du système d’enseignement a créé les conditions, auparavant inexistantes,
du développement de nouvelles stratégies éducatives et d’investissements
dans le capital transnational. Les groupes les moins dotés en capital culturel
légitime se sont tournés les premiers vers les nouvelles formations à
orientation européenne, et la concurrence s’est ainsi accrue mais les enfants
des élites les plus anciennes se montrent les mieux préparés à mettre en œuvre
des stratégies culturelles transnationales. Nikos Panayotopoulos analyse
comment, grâce à son organisation et à sa pédagogie, le Collège américain
d’Athènes qui recrute ses élèves dans la bourgeoisie athénienne,
concentre, développe et transmet un capital cosmopolite et confère un avantage
considérable aux élèves dont les stratégies sont influencées par le
processus de transnationalisation. Cependant, le collège d’Athènes apparaît
comme le lieu de formation d’un groupe dirigeant international plutôt que
transnational dans la mesure où les références culturelles nationales y sont
entretenues. Les éducations internationales ne signifient pas nécessairement
la fin des éducations nationales, souligne Anne-Catherine Wagner qui s’appuie
sur une enquête réalisée dans différentes écoles de la région parisienne
destinée aux enfants d’expatriés. Savoir mobiliser ses ressources nationales
dans un champ international apparaît décisif.
Les
écoles supérieures de gestion participent directement à la formation à la
culture transnationale. Maria Drosile Vasconcellos entreprend l’analyse des
politiques élaborées par différentes écoles de gestion françaises et en
particulier le développement de la dimension internationale des enseignements.
Grazia Scarfo Ghellab étudie les caractéristiques des nouvelles écoles de
gestion marocaines et la place de la culture transnationale qui participe à la
légitimation de ces écoles.
En
conclusion de cette seconde partie, Boubacar Niane analyse l’élargissement du
champ des compétences des transnationales, de la finance au politique ; à
partir de l’exemple de la loi sur la régionalisation au Sénégal, il montre
comment les experts des transnationales promeuvent une sorte de contre-pouvoir
à l’Etat central en s’appuyant sur les ONG et les communautés de base qui
exploitent de plus en plus souvent les possibilités offertes par les
organisations transnationales.
Dans la troisième partie du recueil ont été
réunies les contributions qui traitent principalement des processus d’échanges
et de circulation de différents produits culturels et scientifiques (savoirs,
doctrines, connaissances, traductions), ainsi que de quelques uns des
producteurs et utilisateurs de ces produits (universitaires, étudiants).
Le
management constitue sans doute de nos jours l’un des produits qui connaît la
plus forte circulation. Ivan Bajomi et Eva Tot analysent la diffusion des
connaissances de management en Hongrie par le biais de la formation continue à
la gestion organisée par les entreprises multinationales ou à leur demande.
Les
doctrines élaborées par les spécialistes de l’organisation ont circulé dès
la fin du XIXe
siècle. Odile Henry qui étudie la formation d’un nouvel espace de spécialistes
de l’organisation qui se met en place avec des experts, des ingénieurs, des
traducteurs, des importateurs et des exportateurs, propose une analyse de
l’introduction du taylorisme en France en même temps que de son affrontement
avec la doctrine de Henri Fayol ; cette dernière ne parviendra à être véritablement
reconnue en France qu’après avoir connu le succès aux Etats-Unis. Si le
taylorisme venu des Etats-Unis l’emporta, ce fut notamment grâce à
l’action des ingénieurs mais aussi grâce à la décision prise par Clémenceau
en 1917 de le mettre en application dans toutes les usines contrôlées par
l’Etat.
Cherchant
à comprendre le processus de création des premières écoles de parti au début
du siècle, Mariana Ioan souligne l’importance de la circulation nationale et
internationale des savoirs. Elle analyse les cercles d’études sociales qui se
multiplient en Roumanie à la fin du XIXe siècle et qui sont fréquentés par des émigrés
politiques et par des intellectuels cosmopolites puis l’Ecole socialiste de
Bucarest qui fut un lieu de socialisation politique en même temps qu’une
institution d’avant-garde culturelle dans les années 1910-1914.
Les
échanges universitaires entre les différents pays socialistes qui
constituaient un circuit fermé jusqu’en 1989 ont retenu l’attention de
Mihai Dinu Gheorghiu. Il analyse ces circuits et montre l’intensification des
échanges internationaux après 1990, les transformations qu’ils connaissent
et les effets de l’internationalisation accélérée avec notamment dans les
pays de l’Est la création de nouvelles écoles internationales et
d’universités privées.
Les traductions et les traducteurs constituent sans aucun doute des indicateurs exemplaires de la circulation internationale des biens culturels. Sans eux, la communication transnationale resterait limitée. Johan Heilbron dégage à partir d’une analyse des statistiques de l’Unesco, la structure actuelle des courants internationaux de traduction et tente d’expliquer le mode de fonctionnement du système mondial de traduction.
C’est
avec l’étude des mécanismes d’internationalisation de la science économique
au Brésil que s’achève la troisième partie du recueil. Maria Rita Loureiro
montre à partir d’une analyse des transformations du système universitaire
et de la constitution des différents groupes d’économistes à partir des années
1960 que le processus d’internationalisation qui est souvent de fait une américanisation
de la production scientifique économique ne s’effectue pas de façon homogène
et qu’il rencontre des résistances. Cette internationalisation de la science
économique a des effets politiques très importants et on observe une relative
homogénéisation des paradigmes théoriques et politiques avec l’hégémonie
du néolibéralisme depuis la fin des années 1980.
L’internationalisation de la science économique ou
de différentes formations ou écoles d’élites devient de plus en plus un
enjeu de luttes entre les différents groupes inégalement intéressés au développement
d’une culture transnationale. Si la circulation des différents biens
culturels s’intensifie, si les échanges d’étudiants, les accords entre
institutions de formation se multiplient, si les nouveaux modèles culturels
souvent élaborés par des institutions transnationales se diffusent, les Etats
gardent souvent, très inégalement, il est vrai, une autonomie non négligeable
en matière d’éducation et de culture. Des recherches plus approfondies
deviennent nécessaires pour analyser de façon plus précise, en différents
espaces, par quelles médiations parvient ou non à s’imposer une culture
transnationale, les résistances rencontrées, les retraductions opérées en même
temps que le contenu de cette culture. Une approche comparative est alors
indispensable pour tenter de comprendre et d’expliquer la dialectique qui se
noue de façon différente entre le national et le transnational dans chacun des
espaces ou des lieux considérés.
1.
On trouvera dans D. Broady, M. de Saint Martin, M. Palme éd.,
Les
élites. Formation, reconversion, internationalisation, Colloque de
Stockholm, 24-26 septembre 1993, Paris, CSEC, EHESS / Stockholm, FUKS, Lärarhögskolan,
1995, les communications présentées à ce colloque au cours duquel a été
constitué le réseau « Formation des élites et internationalisation de la
culture ». Ce réseau est issu du réseau de recherche « Etude comparée
des institutions de formation des cadres dirigeants » qui s’était
constitué à Paris en 1989.
Le colloque de Moscou sur « la formation des élites », par la composition des participants et par le lieu où il s'est tenu, s'est inscrit de manière forte dans les problèmes du monde actuel. Étaient en effet réunis des chercheurs russes, hongrois, roumains, grecs, italiens, brésiliens, néerlandais, suédois et français. Et ceci à Moscou, c'est-à-dire dans la capitale d'une grande puissance qui connaît aujourd'hui les soubresauts et les incertitudes que l'on sait et où se pose de façon cruciale la question du renouvellement ou de la permanence des élites.
Par son thème le colloque s'inscrivait donc dans cette problématique de la mondialisation où, à la généralisation des échanges, répond une internationalisation de la formation et de la culture. Les mutations économiques et sociales tendent ainsi à donner aux rapports sociaux une dimension internationale, au moins au niveau des catégories qui ont des responsabilités dans les affaires : en conséquence les formations s'internationalisent elles aussi en même temps que se mettent en place les éléments d'une culture dont la spécificité serait d'affirmer une universalité au-delà des particularismes nationaux ou locaux.
Notre communication s'inscrivait dans cette problématique en s'interrogeant sur le paradoxe apparent de la vitalité de formes culturelles traditionnelles et nationales, incarnées dans une lignée de la noblesse russe, qui trouvent aujourd'hui à s'investir avec succès dans la nouvelle Russie. Paradoxe qui n'est au fond qu'apparent puisque ces formes culturelles avaient déjà une dimension cosmopolite durant la période prérévolutionnaire. Autrement dit, les conséquences de la mondialisation serait peut-être d'autant plus profitables aux classes dominantes solidement installées que celles-ci sont, par la logique même de leur position, amenées à participer d'une culture originale qui a pour trait caractéristique d'être cosmopolite, c'est-à-dire de dépasser les formes nationales sans les nier mais en les possédant, au contraire, au plus haut niveau.
Plusieurs communications ont en tout cas mis accent sur la dimension internationale fort délibérément mise en avant par les établissements d'enseignement, privés ou publics, destinés à former les élites. D'autres approches ont souligné d'autres modalités de la référence à l'international à travers les écoles des partis communistes qui fondèrent leur enseignement sur un internationalisme d'un autre ordre, idéologique et non économique. Mais souvent, que ce soit dans les affaires ou dans la politique, les interventions des chercheurs russes ont insisté sur la permanence de certains dirigeants de l'appareil au-delà des vicissitudes historiques. Dans l'ensemble, les communications ont permis de préciser les contours d'une classe dirigeante dont le caractère essentiel est aujourd'hui de s'internationaliser: si de nouvelles couches apparaissent, la permanence de certains dirigeants, ou de certaines lignées, s'appuie sur la reconversion ou la réactualisation de ressources dont le caractère international était déjà une composante. Ainsi les enjeux de cette internationalisation des élites ne sont pas, bien évidemment purement économiques: c'est de rapports sociaux et de domination qu'il s'agit encore.
Aussi cette connaissance des agents qui occupent des positions de pouvoir d'autant plus puissantes qu'elles ont cette dimension transnationale devient une exigence de la démocratie et de la justice sociale. Parce que les problèmes et leurs solutions sont d'autant plus complexes que leurs causes ne sauraient se formuler à l'échelle d'un seul pays. Parce que les formes les plus aiguës de la misère sociale aujourd'hui renvoient à cette mondialisation du capital et de sa gestion. Les plus assurés de leurs positions sont aussi ceux qui maîtrisent les nouvelles dimensions des règles du jeu, ce qui marginalise encore davantage ceux qui n'ont plus les moyens, matériels et intellectuels, de prendre connaissance des enjeux et des modalités de leur propre exclusion. Alors qu'a contrario les nouvelles données de 1'« ordre » mondial confortent les dominants dans leurs positions.
Le sentiment partagé d'un colloque réussi doit pouvoir s'analyser dans le cas présent comme résultant de l'homologie très satisfaisante qui s'est établie entre l'internationalisation de fait de ses conditions (des chercheurs de différents pays réunis dans un pays étranger à la plupart d'entre eux, mais qui est aussi un pays confronté avec une extrême brutalité aux exigences de la mondialisation) et son objet, la formation cosmopolite des élites internationales. La mise en présence d'expériences nationales contrastées dans un pays dont on sait et dont on voit les bouleversements induits par les exigences liées à son inscription dans « le marché », C'est-à-dire dans l'économie mondiale dominée par quelques pays, quelques groupes mondiaux et quelques institutions internationales, est un facteur qui favorise la réflexion et la mise en perspective des expériences singulières.
De ce point de vue les communications des collègues russes les discussions qu'elles ont suscitées ont été particulièrement fructueuses. Que ce soit autour de la question de l'émergence de nouvelles élites économiques ou de la réémergence des anciennes, datant de la période socialiste. Ou encore qu'il s'agisse des conditions de la définition d'une nouvelle élite politique. La table ronde qui a clôt le colloque a été particulièrement significative. Consacrée aux conditions dans lesquelles se préparent les élections présidentielles, elle a mis en lumière la force de pénétration de conceptions ultra-libérales dans le champ politique. Certains intervenants ont souligné ainsi la nécessité, face à l'absence d'une véritable « opinion publique » en Russie aujourd'hui, de fabriquer des produits politiques, c'est-à-dire des candidats susceptibles de rallier sur leur image, « scientifiquement » fabriquée, les suffrages d'électeurs peu soucieux d'idéologie.
L'internationalisation prenait là un tour inattendu. Mais, au-delà, le colloque dans son ensemble, parce qu'il a rassemblé des chercheurs suffisamment proches, a été un passionnant lieu d'échanges. La confrontation, sur des recherches très voisines quant à leurs objets, d'expériences éloignées mais convergentes, dans ce contexte d'un pays en pleine mutation, a été productrice de plus d'interrogations que de conclusions, ce qui est, comme chacun sait, le propre de toute recherche fructueuse.
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
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